Nouvelle Constitution: L’amazighité fait son entrée

  • Langue officielle, mais après l’arabe
  • Création d’un conseil national des langues

                  
La langue amazighe sera reconnue comme langue nationale… Cette reconnaissance vient à point nommé avec la régionalisation et donne toute l’ampleur à la décision qui devra être entérinée par référendum en juillet prochain. Dans le projet de la nouvelle Constitution, «l’arabe demeure la langue officielle de l’Etat». La langue amazighe est dite «une langue officielle de l’Etat, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception». Le texte prévoit une loi organique pour encadrer et définir le processus de mise en œuvre du caractère officiel de l’amazigh, ainsi que «des modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique», et ce, afin «de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle».

Dans cette définition, l’amazigh englobe le tachelhite, parlé par les Chleuhs, et le tarifite utilisé par les Rifains. Une motion particulière est faire aux «parlers pratiqués au Maroc», et aux «expressions culturelles» dont l’Etat se porte garant et qu’il entend «protéger».
La nouvelle Constitution établit un distinguo en ce qui concerne le hassani. L’Etat «œuvre à la préservation du hassani» en usage dans les tribus marocaines du Sahara, en tant «que partie intégrante de l’identité culturelle marocaine unie». Aucune allusion n’est faite à la darija considérée comme émanant de l’arabe.

 

On se demande dès lors comment la constitutionnalisation de l’amazigh va peser sur les intérêts vitaux de la nation et ses objectifs stratégiques de développement. La question ne se poserait pas en termes de volonté politique et de moyens. La régionalisation implique l’utilisation administrative de l’amazigh, avec l’alphabet tifinagh. Chose que semble appuyer l’article 5 de la nouvelle Constitution qui prévoit son intégration dans la vie publique des régions concernées. Depuis la rentrée scolaire 2003, le ministère de l’Éducation nationale a entamé l’enseignement «expérimental» de l’amazigh dans 317 écoles, soit environ 5% des établissements scolaires du Royaume. Selon les projections initiales du ministère, ce n’est qu’à l’horizon 2013 que l’enseignement de l’amazigh sera généralisé. Toutefois, le choix de transcrire la langue dans une graphie autochtone vieille de 3000 ans, au lieu du caractère latin qui avait été pressenti comme alternative au tifinagh, retardera la diffusion et l’apprentissage de cette langue tant au Maroc qu’à l’étranger.

 

Dans cette tour de Babel, le Maroc entend veiller «à la cohérence de la politique linguistique et culturelle nationale» et à «l’apprentissage et la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde, en tant qu’outils de communication, d’intégration et d’interaction avec la société du savoir». Cela, afin de favoriser «l’ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations contemporaines». Enfin, le projet de Constitution veut créer un conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé notamment de la protection et du développement des langues arabe et amazighe. Les autres expressions culturelles marocaines «constituent un patrimoine authentique» et une source d’inspiration contemporaine. Le nouveau conseil national des langues aura du pain sur la planche…

 

«L’usage de l’amazigh aura un impact positif sur le développement»

Ahmad Boukous, recteur de l’Ircam

L’Economiste: Quelle relation entretient la langue amazighe avec le tarifite, le tachlhite et le hassani?


Ahmad Boukous: L’amazigh standard est une macrolangue qui englobe le tarifite, le tamazighte et le tachelhite comme l’arabe standard englobe les dialectes d’Arabie, du Golfe, du Moyen-Orient et du Maghreb. Quant au hassaniya, il s’agit fondamentalement d’un dialecte de l’arabe.

 

Certaines associations considèrent que le tarifite et le tachlhite ont été lésés…


L’amazigh standard reste proche des dialectes dans ce qu’ils ont de commun et de convergent. Et les particularités dialectales ne sont aucunement sacrifiées. Elles sont exploitées dans les textes et dans les activités pédagogiques à caractère culturel comme le conte, la comptine, le proverbe, etc.

 

L’amazigh, avec l’alphabet tifinagh, représente-t-il un atout pour les projets de développement?


L’usage de l’amazigh va certainement impacter positivement les projets de développement de la nation. En effet, le développement sert avant tout l’homme, et dans le développement humain la composante culturelle est essentielle. Quant à la langue, elle constitue un moyen de communication incontournable sans lequel les projets de développement sont contre-productifs car imposés d’en haut et en dehors de toute participation des communautés.

 

Un nouveau conseil national des langues et de la culture va voir le jour. Quel rôle peut-il jouer?


La création d’une macrostructure coiffant les différentes institutions dédiées à la promotion des langues représente un projet prometteur. Ce conseil permettra de concevoir une vision globale de la politique linguistique et culturelle, une politique cohérente, rationnelle et efficiente. Sur le plan politique et législatif, j’imagine que le texte organique nécessitera un sens politique citoyen soucieux du bien public, respectueux des dispositions de la Constitution en matière de droits linguistiques et culturels, en matière de centralité de l’amazigh dans l’identité nationale. Il faudra beaucoup de générosité aussi pour échapper aux effets pervers des manœuvres partisanes qui entravent le changement.

Propos recueillis par Karim Serraj