Intervention de clôture de M. Ali Amahan

Mes recherches s’articulent principalement autour de deux axes : les institutions et les savoir-faire. Mes terrains d’ancrage sont le Haut Atlas et Fès. En effet, j’ai travaillé sur deux terrains : les Ighoujdamen (Ghoujdama) dont j’ai principalement étudié les institutions et la médina de Fès (Fas al-Bali) dont j’ai traité particulièrement les savoir-faire dans un souci de préservation du patrimoine.

 

 

En ce qui concerne mon terrain chez les Ighoujdamen (Ghoujdama), je me suis consacré à l’étude des institutions communautaires : Ljmaât, Laâmt, les Commissions (telle celle qui gère la mosquée).

Ces institutions ont, parmi leurs fonctions, l’organisation des activités, des festivités, des chantiers collectifs, les prières pour faire tomber la pluie, etc.

Le fonctionnement communautaire appelle un certain nombre de mécanismes et de valeurs. Parmi les valeurs les plus importantes, on note : 1- l’équité au-delà de la justice, 2- l’inclusion, car il ne s’agit pas, en premier lieu, de punir, mais de parvenir à la réconciliation, but ultime des valeurs communautaires, et à la préservation du groupe. Chaque décision doit donc prendre en compte l’équité et la cohésion /inclusion. La cohésion n’est pas aisée, car elle passe par la résolution, sinon l’apaisement des tensions et des conflits. Dans chaque conflit, quelqu’un est probablement fautif (volontaire ou involontaire). Mais souvent, l’on ne peut résoudre ces différents d’une façon consensuelle – qui est la règle – qu’à travers la négociation. C’est celle qui, en tant que processus, peut aboutir à la construction d’un consensus. La réalisation d’un consensus peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années. Rien n’a plus d’importance que la cohésion du groupe, notamment celui qui constitue la communauté de base d’une communauté.

 

 

 

La notion de localité, telle que je la perçois, est définie dans l’ouvrage Mutations Sociales dans le Haut Atlas : les Ghoujdama.  Pour résumer,  il s’agit, ici, d’un espace social et culturel, vital, bien délimité géographiquement.  Les intérêts économiques communs du groupe sont déterminants dans cet espace. La dynamique de la communauté insuffle son énergie dans les niveaux supérieurs de l’organisation sociale, à savoir la fraction et la tribu.

La jemaâ de la localité désigne ses représentants au sein du Conseil de la fraction, lequel désigne ses représentants au Conseil tribal.

Ces deux dernières instances – le Conseil de la fraction et le Conseil tribal – ne sont mobilisées que dans des circonstances particulières (conflits entre tribus, etc.) Par contre, la localité est constamment mobilisée pour  gérer la vie locale des habitants.

 

Nommé à Fès, conservateur du Musée du Batha, je constatai que  la logique de travail dans la gestion d’un établissement culturel différait de la recherche ethnographique. Ce musée laissé à l’abandon était enclavé dans la ville. Seuls quelques touristes prenaient la peine de le visiter (environ 12000 par an). La réorganisation du musée et le montage de nouvelles expositions entrepris alors avec rigueur ne suffirent pas à relancer les visites. Je ressentis, avec mon équipe, la nécessité de construire toute une stratégie  de désenclavement du musée qui ne pouvait retrouver sa vitalité que dans son environnement. Il fallait impérativement intéresser la population de la médina aux collections du musée. La stratégie adoptée fut donc la suivante :

    - Définir un thème fédérateur prisé par la plupart des habitants de la Médina,

    - Considérer la population de la Médina, voire de la ville comme partenaire,

    - Prendre en considération le goût et la quête de savoir, etc.

 

 

Le choix du thème fédérateur porta  sur la musique (andalouse, des confréries Hamadcha et Aïssaoua, Malhoun). Un espace dédié aux spectacles au sien du Musée fut crée. Nous organisâmes des concerts gratuits, notamment  de musique malhoun afin d’attirer le public de la Médina, constitué essentiellement d’artisans et de petits commerçants, milieu fécond dans lequel prospère cette musique. Pendant ces concerts, les salles d’exposition leur étaient accessibles. Les spectateurs, accompagnés de leurs familles, visitaient les expositions, et revenaient, surtout les vendredis. S’instaura alors une tradition de visite du musée, perçue comme un moment de délectation.

Cette initiative, associée à d’autres (conférences, débats, expositions d’art moderne, séjours artistiques...) a déclenché une véritable dynamique qui a permis en une seule année, de passer de 20.000 à 80.000 visiteurs.

A Fès, la priorité fut donnée aux savoir-faire : la collecte, la préservation et l’étude des pièces de collection. De nombreuses collections furent étudiées, traitées, restaurées, enrichies et valorisées.

En menant l’étude des collections du musée du Batha, je découvris la richesse et la diversité des savoir-faire mis en œuvre pour la production. Au-delà des aspects historiques, artistiques et techniques, certaines réalisées (bois d’architecture, tapis, zellij, céramique) m’amenèrent à nouer des contacts, puis à tisser des liens avec les communautés productrices des collections (corporations).

Ainsi, j’ai conduit l’étude de l’institution corporative. Cette dernière présente de nombreuses similitudes avec la communauté villageoise du Haut Atlas, dans son organisation et son fonctionnement. Au-delà de ces similitudes, ces deux institutions ont en commun une infaillible résistance à tous les pouvoirs (Makhzen, Protectorat, etc.)

 

Je souhaiterais évoquer, ici, la jemaâ administrative créée par le Protectorat dont la finalité était de supplanter les deux institutions ancestrales (communauté rurale et corporation).

D’ailleurs, le Protectorat a créé au moins cinq jemaâs administratives : tribales, au niveau de la fraction, au niveau de la localité (douar), la jemaâ administrative des terres collectives, etc. Il a instauré également la société de Coopératives Indigènes pour marginaliser les corporations. En réalité, ces créations avaient pour objectif la maîtrise de la vie publique locale et la marginalisation, voire la suppression des ces institutions  traditionnelles.