La nouvelle grammaire de l'amazighe

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Le processus de la standardisation de la langue amazighe (berbère) a été initié et entrepris, avec une démarche progressive, par l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), qui en a fait une action majeure relevant de ses diverses prérogatives. Dans la même foulée, et depuis 2003, la langue amazighe a intégré le système éducatif marocain. Elle est enseignée dans les classes du primaire des différentes écoles du territoire marocain, en perspective d'une généralisation graduelle aux niveaux scolaires (progression annuelle de niveau à niveau) et de l'extension à de nouvelles écoles.
Enseigner l'amazighe implique, outre la formation des formateurs en cette langue, l'élaboration d'outils et supports pédagogiques à l'usage de l'élève et de l’enseignant,  notamment une grammaire, élément de base indispensable à toute activité pédagogique, et sans lequel une langue ne peut prétendre convenablement à l'enseignement.
Mettre au point la grammaire d'une langue n'est pas chose aisée. Certes, toute langue, qu'elle soit écrite ou à tradition orale, dispose d'une grammaire, laquelle, dans le premier cas est explicite et, dans le second, elle est tout simplement implicite; et la tâche du grammairien consiste alors à rendre explicites les règles qui sous-tendent l'usage de la langue. Et c'est dans ce dernier cas que s'inscrit l'amazighe.
Depuis au moins deux siècles, l'amazighe dispose de plusieurs grammaires et de fragments de grammaires, variables du point de vue conception, méthode, approche et présentation, en fonction des objectifs qui leur sont assignés et du public auquel elles sont destinées. Elles s'accordent  néanmoins sur un fonds commun qui se ramène aux constituants principaux de la langue, dont le fonctionnement témoigne de  l'unité profonde de la langue amazighe, attestée sous diverses variétés régionales. En outre,  les trois dernières décennies du siècle dernier ont vu paraître  nombre d'études et de recherches portant sur différents aspects de la grammaire de l'amazighe, au sens large du terme, lesquelles se ressourcent, à des degrés variés, des apports des théories linguistiques modernes.
La caractéristique fondamentale des grammaires élaborées à nos jours est sans nul doute le fait qu'elles portent souvent sur une seule variété de la langue ou, dans le meilleur des cas,  sur un dialecte décliné en  un ensemble de parlers relativement voisins.
La présente grammaire se veut générale,  en ce sens qu'elle  a pour principal objectif de fixer, voire d'expliciter le fonctionnement de l'amazighe conçu dans son unité foncière. Il ne s'agit donc pas  de la  grammaire particulière d'une variété (parler ou dialecte), mais plutôt de la grammaire de l'amazighe marocain. C'est là que réside l'originalité de cet ouvrage, mais en même temps sa difficulté. En somme, cette grammaire s'inscrit dans le projet à terme  de l'amazighe standard en instance de réalisation progressive, lequel sera doté d'une grammaire et d'un dictionnaire de référence, à même de  fixer les usages grammaticaux et lexicaux de la langue. Quant au système d'écriture, il est d'ores et  déjà mis au point,  et  une norme graphique et orthographique est  en vigueur dans les manuels tifawin a tamazivt [Tifawin a tamazivt], élaborés par l'IRCAM, en collaboration avec le Ministère de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de la Formation des Cadres.
Procéder à  l'élaboration d'une grammaire commune de l'amazighe, dans la perspective d'une langue unifiée, est une entreprise somme toute  hasardeuse. En effet, le problème épineux auquel on se heurte est celui de la variation. Il va sans conteste que l'unité de la langue amazighe est une évidence. Elle a été mise en exergue depuis les débuts du siècle dernier. Le niveau morphosyntaxique est par excellence celui où elle est le plus manifeste. Il n'en demeure pas moins que la variation est une réalité,  et une approche adéquate, basée sur des principes pertinents,  s'avère nécessaire et incontournable. Aussi a-t-il été retenu les principes suivants :
• viser l'unité de la langue : on retient comme outils ou morphèmes fondamentaux ce qui est commun aux différentes variétés ou ce qui est le plus fréquent ;
• sauvegarder la richesse de la langue au niveau des outils grammaticaux,  mais aussi au niveau des structures. Une même idée pourrait être exprimée par différents moyens  grammaticaux et par diverses tournures. Ce qui explique la présence, parfois,  de plusieurs morphèmes pour exprimer ou traduire la même notion (interrogation, négation, mise en relief, expression du temps…). A titre d'exemple, l'interrogation totale peut s'obtenir soit par l'emploi de is, soit par celui de ma.
• laisser une place à la variation : elle est source de richesse linguistique, et pourra être exploitée à des fins stylistiques. L'usage à long terme pourrait instaurer des emplois particuliers reflétant soit le niveau de langue, soit l'expression de nuances sémantiques spécifiques, etc.
La présente grammaire est destinée initialement aux enseignants ; car elle est conçue comme un outil d'accompagnement de l'enseignement de l'amazighe à l'école marocaine. Mais elle est également destinée à toute personne qui s'intéresse à l'amazighe, soit comme objet d'apprentissage, soit comme objet  d'étude. C'est pourquoi la présentation des éléments qui la composent procède d'une démarche qui va du plus simple au plus complexe ; mais également avec une hiérarchisation des différentes composantes de la grammaire : les sons et les phonèmes suivis du système d'écriture, la morphologie et la syntaxe. Au niveau de chaque chapitre, la même démarche de présentation est dans l'ensemble adoptée : l'inventaire des outils grammaticaux, leurs caractéristiques morphosyntaxiques, leur classement s'il y a lieu.
Les exemples constituent un élément important dans une grammaire, quelle qu'en soient la nature et la visée. Ce sont eux qui donnent corps à une  règle grammaticale. C'est pourquoi leur choix n'est pas facile,  et il est régi par l'objectif  assigné initialement à la grammaire. Etant donné les principes déclinés ci-dessus,  et vu l'objectif pédagogique de cette grammaire, les exemples choisis relèvent souvent de l'amazighe commun. Quand la variation est pertinente, différents exemples sont livrés  pour illustrer le même phénomène grammatical, en veillant à l'introduction, également, d'une variation lexicale ; le but étant ainsi la sensibilisation à la richesse de la langue à différents niveaux.
Cette grammaire se veut une grammaire pédagogique et non un ouvrage de recherche ; bien qu'un chercheur puisse y trouver différents éléments d'information touchant tous les constituants de la langue, dont le comportement linguistique de certains fait référence  à la problématique générale de la langue.
On a veillé aussi à ce que cette grammaire soit aussi claire que  facile. C'est pourquoi une terminologie courante y est utilisée. On signale, quand il est jugé utile de le faire, la terminologie en usage dans la tradition amazighisante. Il est ainsi écarté tout ce qui est très marqué ou qui a une signification spécifique dans une  théorie linguistique donnée et qui risquerait d'induire des confusions chez le lecteur.
En mettant cette grammaire à la disposition des enseignants, et de toute personne intéressée par l'apprentissage ou l'étude de l'amazighe, nous souhaitons avoir comblé une grande lacune dans les outils pédagogiques d'accompagnement de l'enseignement de la langue et avoir tracé les grands jalons d'une grammaire de référence de l'amazighe standard.

                                                                                      les auteurs

 

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