Arts et architecture amazighes du Maroc

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Ce beau-livre publié par l’IRCAM est consacré aux expressions artistiques amazighes. C’est une contribution majeure au rayonnement d’une culture millénaire dont la richesse n’est plus à démontrer. L’ouvrage est le fruit du travail d’une équipe composée d’archéologues et d’anthropologues, spécialistes des arts amazighes. Arts et architecture amazighes du Maroc rassemble des textes portant sur l’art rupestre, le bijou, le tapis, la poterie, le bois et l’architecture. Il invite le lecteur à découvrir la culture amazighe dans ses dimensions matérielle et immatérielle.

  • Préface

En publiant ce beau livre consacré aux expressions artistiques amazighes, l’IRCAM veut contribuer au rayonnement d’une culture millénaire en sensibilisant le lecteur à la richesse et à l’originalité de l’esthétique rurale. Une pléiade de spécialistes s’est prêtée, avec science et bonheur, à un exercice de présentation des différents domaines dans lesquels s’est illustrée la créativité des artistes-artisans ruraux, notamment dans l’architecture, le travail du bois, les bijoux, le tapis et la poterie. 
Le lecteur remarquera comment l'esthétique rurale repose sur des principes différents de ceux de l'esthétique urbaine. L'art rural est utilitaire, symbolique, abstrait et collectif. C’est un art-artisanat dans lequel les préoccupations esthétiques sont présentes dans toute la création artisanale. L'artiste-artisan n’y fait pas de distinction entre matières riches et matières pauvres; bien plus, la pauvreté de la matière (tissu fruste, terre cuite) est souvent compensée par la richesse des formes. A des objets de dimensions réduites, l'artiste rural arrive à intégrer les images et les symboles universels (Grande déesse, Centre du monde, etc.). Cet art a un caractère abstrait non figuratif. Les formes géométriques y expriment les représentations profondes de la société rurale (symbolique de l'eau, de la femme procréatrice, de l’union, etc.). En outre, l'artiste reste profondément attaché à sa communauté ; il puise son inspiration dans la source de l'imaginaire collectif en l'harmonisant avec sa vision esthétique particulière par un agencement créatif des formes.
L’art rural est mis en péril par une conception marchande de la culture qui s'impose partout de façon irréversible. Elle investit l’imaginaire et les comportements dans la société rurale via la réception d’objets de série purement fonctionnels, lesquels concurrencent de façon dramatique les produits de l'art-artisanat. Cela est d’autant plus préjudiciable à la pérennité du patrimoine culturel que la régression de l’art rural s'accompagne du dépérissement de la dimension esthétique et symbolique de l'activité artistique de la communauté rurale. Cette dimension, préservée depuis le néolithique en dépit des diverses occupations, est en passe de succomber face à la production marchande. La société rurale déstructurée est, de fait, investie par les produits de l’économie monétaire qui y créent des besoins nouveaux et y imposent des modèles culturels impérieux. D’où l’intérêt d’une prise de conscience à la mesure des enjeux induits par les transformations que subit la société et la nécessité de sauvegarder et de promouvoir les trésors de l’art rural, d’autant que ces trésors sont menacés par la pratique outrancière du trafic illicite.

Ahmed BOUKOUS

  • Introduction

Entreprendre la réalisation d’un nouveau livre sur les arts et sur l’architecture amazighes n’est pas chose aisée au regard des écrits et des savoirs déjà produits sur le même sujet.
Comment produire un nouvel ouvrage d’érudition sans tomber dans la redondance et la compilation ? C’était le défi majeur à relever.
La valeur ajoutée d’un beau-livre sur les arts et l’architecture amazighes est sans doute sa contribution à la connaissance de la culture amazighe dans sa dimension matérielle représentée dans des productions telles que les bijoux, les objets en bois, la décoration, l’habitat, la poterie, etc. et dans sa dimension immatérielle relevant de l’ordre de l’intellect, du savoir-faire et de l’imaginaire.

Le parcours dessiné pour cet ouvrage est à la fois ethno-historique et patrimonial. La première approche tend à répondre à la tendance ethnocentriste et élitiste qui voyait dans l’art amazighe en général un « art ethnographique » ou un « art populaire » qui aurait sa place dans les musées ethnographiques plutôt que de prétendre au statut d’un art « supérieur » ou « noble » des galeries d’art et des musées prestigieux.
Cette vision qui procédait de la conviction de la supériorité d’une culture (ici occidentale ou occidentalisée) sur une autre (celle du colonisé, du minoritaire ou du minoré) et qui trouvait sa légitimité dans le discours et la pensée de l’époque, n’a pas pu être totalement évincée du champ de la production du savoir sur les populations amazighes.

Loin de vouloir prétendre à une équivalence esthétique et conceptuelle entre les différents arts et expressions artistiques des cultures différentes dans leur essence, nous estimons qu’il est aussi pertinent de reconsidérer l’idée d’une quelconque hiérarchie entre les catégories des arts et des techniques. Du point de vue anthropologique, chaque culture, chaque groupe social produit ses propres formes d’expression artistique et conçoit sa propre architecture selon ses besoins, sa composition, son fonctionnement, sa conception et ses représentations du monde réel ou imaginé.

Dans le cas des arts et de l’architecture amazighes du Maroc, la force de l’expression  ne relève pas seulement du fonctionnel et du technique. L’esthétique qui était jadis bafouée parce que jugée primitive et exotique revêt un intérêt particulier qui a eu des conséquences positives indéniables sur l’art amazighe en général. Désormais, coté sur le marché de l’art et source d’inspiration pour les artistes et designers, le patrimoine artistique et culturel amazighe est devenu incontournable même s’il ne profite pas aux populations qui en sont productrices ou détentrices et même si l’intérêt affiché trouve son explication dans sa valeur marchande plus que dans la volonté d’étude scientifique ou iconographique et de préservation du patrimoine. D’où la responsabilité de la communauté scientifique et des institutions en charge de la culture amazighe. L’IRCAM en est une et œuvre par le présent ouvrage à instituer un « groupement d’intérêt » pour, d’une part, produire de la connaissance sur ce pan de la culture marocaine constitué des arts et de l’architecture amazighes et, d’autre part, alerter l’opinion publique et les responsables sur sa situation fragile. D’où l’approche patrimoniale qui marque certaines contributions de ce livre.

Dans la perspective qui est celle de l’IRCAM, le souci est triple. D’abord, nous sommes amenés à opérer une sélection dans les thématiques qui figurent dans l’ouvrage sans tomber dans le préjugé tant critiqué de l’ « essentiel » et du « non essentiel », du « majeur » et du « mineur ». Notre opération ne trouve sa légitimité que dans l’impossibilité de rendre compte de toutes les expressions artistiques et des productions culturelles en milieu amazighe dans un seul ouvrage, de surcroît un beau-livre. Le choix opéré est tributaire du champ de recherche où excellent les auteurs des articles.
Ensuite,  nous sommes confrontés à la définition des concepts « arts amazighes » et «  architecture amazighe ». Anticipant tout reproche dans ce sens, nous avons voulu par l’épithète amazighe rendre compte d’un ensemble de faits et d’états de fait. La culture marocaine est dans son essence amazighe et toute référence d’un élément à ce dernier aspect ne le soustrait en aucun cas de son appartenance nationale. L’amazighité en relation avec les productions patrimoniales s’appréhende temporellement et spatialement. Si la référence à l’histoire trouve ses arguments dans les écrits, l’archéologie, les sources écrites et la tradition orale, celle de l’espace est moins évidente vu les déplacements des populations, le phénomène d’appropriation et d’assimilation de l’héritage des prédécesseurs, l’occupation et la relation au sol, etc.
La référence à un territoire est voulue dans le sens que lui a donné M. Godelier, c'est-à-dire celui d’ « une portion de la nature et donc de l’espace sur laquelle une société déterminée revendique et garantit à tout ou partie de ses membres des droits stables d’accès, de contrôle et d’usage portant tout ou partie des ressources qui s’y trouvent et qu’elle est désireuse et capable d’expliquer ». (1984 :112).

Enfin, le livre se veut également un moyen pour immortaliser la créativité ancienne amazighe dans le domaine du patrimoine mobilier. Le texte est de ce fait une source pour la compréhension, l’information réfléchie mais demeurera incomplet et inintelligible sans l’apport de la photographie. Celle-ci rend compte de l’état réel des choses ; elle sonde au plus près l’état des éléments, révèle en gros plans l’originalité, l’esthétique et la dimension des objets et des formes et permet d’imaginer la dimension immatérielle qui est à la source de la créativité. Il veut également apporter une expérience intéressante, celle du regard porté par des auteurs sur leur propre patrimoine culturel et sur les créations originales produites au sein de leurs communautés. C’est une réconciliation avec la mémoire collective et une ouverture à la connaissance de l’Autre, à l’universalité de la culture et à la pérennité du savoir.

Partant des gravures, des inscriptions rupestres et des architectures en milieu amazighe et passant par des exemples de productions culturelles (bijoux, tapis, bois et poterie), les auteurs de ce beau-livre souhaitent réorienter les regards vers les dimensions patrimoniale, identitaire et symbolique que traduisent les éléments décrits en rapport avec l’environnement des populations.

Mustapha JLOK

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